Plaisirs de la transgression
Plus l’aura que nous associons à l’interdiction est prestigieuse, plus nous devenons puissants en enfreignant la règle. Nous tentons ainsi de compenser des situations dans lesquelles nous nous sentons affaiblis, diminués. « Nous nous prenons pour des héros, et la transgression nous réjouit parce que nous nous pensons plus forts que la loi », confirme Dominique Picard.
Les jurons ne sont pas employés pour leur sens mais pour ce qu’ils signifient à nos yeux : ils renvoient toujours à un panthéon personnel. Marie, 45 ans, utilise les expressions de son père, qu’elle admirait profondément : « Je dis “vindiou de vindiou” ! Tout le monde se moque de moi avec cette expression ringarde. Je ne sais pas vraiment ce que ça veut dire, mais je l’ai entendue prononcée pendant toute mon enfance, chaque fois que mon père se cognait. Depuis, je l’utilise dès que je me sens coincée, au sens propre comme au sens figuré.
Il y a dans cette prédilection deux choses qui me rassurent : le lien à mon père, que je réaffirme même s’il n’est plus là, et le rejet de la religion, très présente dans la famille de ma mère. » Il s’agit de tenter de reprendre la main en récitant une incantation bien plus ancienne que celle qui la prononce.
Le juron, ce sauveur ?
Notre spécificité d’êtres humains, assurait le psychanalyste Jacques Lacan dans la filiation de Freud, c’est que nous sommes des « parlêtres » : nous naissons dans un bain de langage qui flotte autour de nous, nous imprègne et nous marque physiquement. Nous n’en avons pas forcément conscience, mais nous percevons pertinemment en notre for intérieur la puissance charnelle de la langue.
De nombreux linguistes, et avec eux Évelyne Larguèche, soutiennent que le plus important dans les jurons est leur énonciation, le fait de les formuler et de les lancer dans le vide, contre le vide. Comme dans Les Fées (In Contes de ma mère l'Oye de Charles Perrault, L'Ecole des loisirs, "Classiques", 2013), ce conte de Charles Perrault où deux soeurs se retrouvent sous l’emprise d’une sorcière, ils sont pour nous ce crapaud, ce serpent, cette perle ou ce diamant qui sautent hors de nos lèvres ensorcelées par la parole.
Abracadabra !
Peut-être que le juron nous sauvera ?
http://fome-bienetre.blogspot.com/2014/05/plaisirs-de-la-transgression-plus-laura.html
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